La plus précieuse des pierres de couleur verte est sans doute aussi la plus mystérieuse. Les jardins qui composent ses inclusions naturelles sont sa carte d’identité ou plutôt, son passeport. Qu’elle provienne de Colombie ou de Zambie, du Pakistan ou d’Afghanistan, du Brésil, d’Inde ou des monts de l’Oural, l’émeraude est particulièrement mise à l’honneur cette année dans les collections de haute joaillerie de la place Vendôme.
Le vert n’est pas une couleur primaire, il s’impose néanmoins un peu partout et jusque
dans les dernières créations de haute joaillerie des maisons de la place Vendôme. Tzavorites, péridots, tourmalines chromifères ou indicolites… Les plus prisées des pierres fines ne peuvent cependant pas rivaliser avec l’émeraude, cette fascinante gemme de la famille des béryls, dont la tonalité de vert n’a pas d’égal. Van Cleef & Arpels voue depuis longtemps à cette pierre un profond respect, au point de lui avoir entièrement consacré en 2016 la collection “Emeraude en majesté”.
Avant d’être attribuée à une parure ou à un bijou, chaque pierre avait été triée suivant trois critères d’exigence : la couleur, la pureté et la matière. La couleur est appréciée à la lumière du nord, qui la révèle et chez Van Cleef & Arpels, c’est un vert soutenu qui a la faveur des experts. Est ensuite examinée la pureté de l’émeraude : si les inclusions font partie de son identité, elles doivent apparaître avec subtilité et équilibre. Enfin, la matière est prise en considération : c’est la qualité de cristallisation et l’éclat de la pierre qui lui permettront de se démarquer.
Ce n’est qu’ensuite que l’on peut tenir compte de la qualité de la taille et de l’élégance de la forme. Cette année, Van Cleef & Arpels a présenté “Sous les étoiles”, une collection de haute joaillerie où ces pierres précieuses sont à l’honneur, notamment sur le collier Nuée d’émeraudes. Montée sur or blanc et platine, cette pièce est ourlée de 96 émeraudes d’Afghanistan taille baguette pour 62,30 carats, de saphirs taille baguette et de diamants ronds, baguette, demi-lune, triangle.
Ces motifs géométriques et l’association des couleurs magnifient l’émeraude dans la diversité de ses nuances et de la lumière de sa cristallisation.
Masculin-féminin
S’il est une maison qui s’est particulièrement distinguée par rapport aux émeraudes en 2021, c’est Boucheron avec “Histoire de style, Art Déco”, sa collection de haute joaillerie qui puise l’inspiration dans son patrimoine pour la conjuguer au présent. Claire Choisne, la directrice de la création, a imaginé une ligne intemporelle, comme une signature de style. Elle avait au préalable posé son regard sur les archives Art Déco de Boucheron pour en raviver l’esprit. Elle en a ensuite retenu la simplicité radicale afin de la faire résonner avec la femme d’aujourd’hui.
Claire Chois ne s’est aussi inspirée des Années Folles, de l’esprit couture et des éclats antagonistes : masculin[1]féminin, opulence des lignes pures, radicalité du noir et blanc rehaussé d’une couleur précieuse. Et cette couleur, c’est le vert de l’émeraude. Cette collection “Histoire de style, Art Déco” a été imaginée pour être portée par les femmes mais aussi, par les hommes. Des bijoux qui offrent un multiporté, se dédoublent parfois : l’homme arbore une partie de la pièce en broche ou à la ceinture, tandis qu’une autre partie est accrochée dans les cheveux de la femme, sur sa main ou son cou. Cette ligne compte aussi des colliers cravate, des bracelets rubans ou des sautoirs à pompons.
La pièce la plus richement ornée d’émeraudes est un collier inspiré des plastrons créés par Boucheron pour le Maharaja de Patiala. Serti de 220 billes d’émeraudes pour un total de près de 1072 carats, ce sautoir emprunte son opulence au temps où les hommes portaient la joaillerie comme un signe de pouvoir. Un sautoir qui se transforme en collier simple ou bracelet, accompagné de pendants d’oreilles et d’une bague graphique.
Autre pièce issue de cette ligne, la chevalière émeraude que Claire Choisne a imaginée, pour un porter au masculin comme au féminin, illustre parfaitement cette affirmation de style, en écho à une époque où les femmes jouaient avec le vestiaire masculin. Une émeraude de Muzo de 4,43 carats surplombe diamants ronds et taille baguette, cerclés d’un liseré noir, sur une monture en cristal de roche. Le dessin octogonal de la bague figure la place Vendôme et ses pavés. C’est aussi sur une bague que Chanel Haute Joaillerie a choisi de mettre à l’honneur le vert de l’émeraude. En or jaune, platine, diamants, rubis et émeraude, la bague Volute Croisière figure dans la collection “Escale à Venise”, conçue par Patrice Leguéreau, directeur du studio de création de joaillerie de Chanel. Composée de soixante-dix pièces de haute joaillerie, cette collection offre une lecture contemporaine de la découverte de la Cité des Doges par Gabrielle Chanel. Venise deviendra ensuite la ville favorite de Mademoiselle et les icônes de la maison de joaillerie sont ici passées au prisme de la Sérénissime : avec ses couleurs en hommage au drapeau italien et son esthétique qui rappelle les marinières en rouge et blanc que portent les gondoliers, la bague Volute Croisière s’inscrit parfaitement dans cette thématique vénitienne.
Teintes vibrantes
Dans le kaléidoscope de pierres de couleurs de la collection “Colors of Nature » de Tiffany & Co., qui célèbre la beauté du quotidien et la richesse de la nature, figurent aussi des gemmes de couleur verte : péridots, tourmalines et bien entendu, émeraudes. Pour cette ligne de haute joaillerie dévoilée au printemps, Reed Krakoff, Chief Artistic Officer de Tiffany & Co., a imaginé un monde aux teintes vibrantes, qui s’ordonne autour de quatre thèmes centraux : la terre, l’eau, le ciel, la planète. “Les couleurs illuminent ces pièces qui conjuguent audace et simplicité”, déclare Reed Krakoff. À l’image d’une paire de boucles d’oreilles en platine et or jaune, serties d’émeraudes de Colombie de plus de 10 carats, de diamants taille baguette et de diamants taille brillant de plus de 4 carats.
Enfin, chez Dior Joaillerie, dix ans après le luxuriant “Bal des Roses”, Victoire de Castellane a dessiné une nouvelle collection de haute joaillerie dédiée à la rose. Composée de cinquante-quatre pièces figuratives au réalisme troublant, “RoseDior” rend un hommage poétique et coloré à la fleur préférée de Monsieur Dior.
Parmi différentes parures – plus ou moins colorées selon les pierres mises en exergue -, le collier Rose Dior illustre une rose, sa tige et ses épines sur or jaune, platine et or blanc, diamants, grenats tsavorites et émeraudes. Une libre interprétation florale de la part de la créatrice Victoire de Castellane, où le vert du feuillage est transposé au cœur des pétales, dans un camaïeu de tonalités à la fois froides et chaudes. Pour ces pièces de joaillerie, la pierre est dans tous les cas au cœur du processus de création.
C’est particulièrement vrai pour l’émeraude, une pierre délicate, habitée par de mystérieux jardins qui invitent à la contemplation.
Carine Loeillet
1ère parution luxe-infinity.com Juin 2021